Bizerte aura été sa « Dernière Escale », titre de son livre publié en 2000. Anastasia Manstein-Chirinsky, dont le destin sest rapidement confondu avec celui de la communauté russe exilée en Tunisie, est décédée, lundi, dans le port de Bizerte.
Quatre-vingt neuf années plus tôt – presque jour pour jour -, cette fillette de 8 ans fuit la guerre civile en Russie, amorcée par la révolution bolchévique doctobre 1917, et débarque dans le port tunisien à bord des restes de lescadre impériale russe. Elle passe ses premières années dexil au bord dun torpilleur puis dun cuirassé amarré dans la baie de Bizerte.
Anastasia Chirinsky passera toute sa vie dans cette ville côtière. Après y avoir fait ses études, elle devient enseignante en mathématiques. Bertrand Delanoë, l’actuel maire de Paris, qui a grandi à Bizerte, compte parmi ses anciens élèves. « ‘Babou’, comme nous lappelions tous – était un être exceptionnel, un génie de la vie. Son parcours fut un roman, celui de cette jeune immigrée russe, imprégnée dhistoire, de culture, de curiosité et de créativité, mais surtout damour », confie-t-il à France24.com.
« Un lieu de pélerinage »
Anastasia Chirinsky – « Babou » comme nous lappelions tous – était un être exceptionnel, un « génie de la vie ». Son parcours fut un roman, celui de cette jeune immigrée russe, imprégnée dhistoire, de culture, de curiosité et de créativité, mais surtout damour. Cet amour quelle a donné aux autres, à sa famille, à ses amis, à ses élèves dont je fus, comme elle la donné à la Tunisie, où elle avait choisi de vivre. Belle, généreuse, souvent inattendue, je pense aujourdhui à elle avec une immense émotion. Bertrand Delanoë, ancien élève d’Anastasia Chirinsky
De son histoire, elle écrira un livre, en 2000, dédié à la mémoire des réfugiés russes sur le sol tunisien : « La Dernière Escale. Le siècle dune exilée russe à Bizerte ». Ecrit en français et publié en Tunisie (Sud Editions), il a été récompensé du prix littéraire russe Alexandre-Nevsky.
Mais sa plus grande consécration reste sans nul doute l’obtention du passeport russe en 1997. Elle avait refusé la nationalité française, à lépoque où Paris naturalisait les minorités communautaires de la Tunisie, et n’avait pas non plus sollicité la nationalité tunisienne de peur que cela ne lempêche un jour davoir la nationalité russe.
Conservatrice bénévole du cimetière des marins militaires russes à Bizerte, elle est devenue la mémoire vivante dun épisode de lHistoire longtemps méconnu. « Il a été occulté aussi bien par le régime de lex-Union soviétique que par un certain monolithisme de la Tunisie post-coloniale », précise Mahmoud Ben Mahmoud, auteur du documentaire « Anastasia de Bizerte » (1996).
Et de poursuivre : « Elle portait à la fois la mémoire de la Russie pré-communiste et lhistoire de la Tunisie sur presque tout le XXe siècle ». Elle est d’ailleurs devenue incontournable pour les touristes russes qui, après le musée de Carthage et la médina de Tunis, avaient pour habitude de faire escale chez elle. « Cétait devenu un lieu de pèlerinage, ajoute le réalisateur. Les passagers des bateaux russes qui accostaient à Bizerte allaient la voir. Elle recevait aussi du courrier de toute la diaspora russe disséminée de par le monde ». Aujourd’hui, Anastasia Chirinsky est devenue indissociable de Bizerte. Depuis quelques années, une petite place porte son nom.
Anastasia Chirinsky est décédée lundi 21 décembre à Bizerte, ville portuaire de la Tunisie. Elle était le dernier témoin de l’évacuation des navires de l’escadre de la mer Noire de Crimée vers la ville pendant la guerre civile de 1918-1922. Par Maha Ben Abdeladhim (journaliste France 24, lauréate du prix Carnot-Tunis 1997, ancienne élève du lycée Bourguiba, ex Carnot).