Paul Sebag, la mémoire de Tunisie par Claude Sitbon (LC ),le 12 décembre 2004
Paul sebag n’est plus depuis le 5 septembre dernier. Cest une perte pour la Tunisie, dont il fut lun des brillants historiens, et pour la communauté juive, dont il fut lun des chantres.
Né à Tunis le 26 septembre 1919, Paul était un homme au sourire malicieux, dont létendue des connaissances n’avait d’égale que la splendeur de sa bibliothèque. Cette bibliothèque était un objet de fierté: il ne pouvait l’évoquer sans penser à son père, l’éminent avocat, qui lui avait appris à lire les classiques grecs et latins, les auteurs français et étrangers, sans parler de la philosophie et de l’histoire. Malgré, ou à cause, de ses origines « bourgeoises », il se passionna, comme bien des jeunes de son époque, pour les idées « évolutionnaires ». On se souvient de ce climat de l’entre deux-guerres qui fit la force du Parti communiste, auquel l’intelligentsia européenne sétait largement ralliée…
Après des études de droit et de philosophie, à Paris, interrompues par la guerre et les lois racistes, Paul Sebag devient militant communiste et prend une part importante à l’action clandestine du Parti communiste tunisien (PCT) contre le régime de Vichy. Arrêté,il est condamné par le tribunal de Bizerte aux travaux forcés à perpétuité, mais ne fera que dix mois de prison. Libéré au lendemain du débarquement des Alliés, le 8 novembre 1942, il reprend son activité politique au sein du PCT, dans Tunis occupé par les Allemands.
Après la libération, le 7 mai 1943, Paul devient journaliste et assure la rédaction du journal du parti. Mais le journalisme, comme lon sait, ne nourrit pas son homme. Il achève donc ses études et devient, de 1947 à 1957, professeur de lettres au lycée Carnot de Tunis. Il marquera une génération entière détudiants, qui gardent de lui un souvenir lumineux.
En 1951, il publie son premier livre La Tunisie Essai de monographie, une analyse de léconomie et de la société tunisiennes. Un livre « engagé » qui rencontre un grand succès. Il songe alors à préparer un doctorat et dépose un sujet de thèse. En réalité, il commence par publier plusieurs études de sociologie urbaine qui lamènent à enseigner à lInstitut des hautes études de Tunis, puis à la faculté des lettres de cette même ville. Sétant enfin attelé à la rédaction de sa thèse, il y consacre de très nombreuses années. Layant enfin achevée, il ne la publie pas. Cest quil est atteint de cette maladie qui
frappe certains intellectuels: le perfectionnisme.
De 1957 à 1977, il sert le gouvernement tunisien, mais, à la rentrée doctobre 1977, son contrat nest pas renouvelé. Il est alors nommé à la faculté de Rouen, où il enseignera pendant deux ans, puis fait valoir ses droits à la retraite pour se remettre à sa passion: lécriture.
Cet homme qui fut lun des hérauts de la lutte pour le communisme ne rougit pas davoir partagé cette passion, même si elle fut un échec. Comme fut un échec, hélas ! cette volonté de lutter pour la nation tunisienne, qui, comme toutes les jeunes nations, eut du mal à conserver en son sein les non-musulmans. Après sa période denseignant et de militant, il se consacre à son « devoir de mémoire »: transmettre cette histoire quil aime tant, celle de la Tunisie et de ses juifs. En 1989, il publie Tunis au XVIIe siècle. Deux ans plus tard paraît La Régence de Tunis à la fin du XVIIe siècle, puis, en 1998, son livre majeur, celui de toute une vie : Tunis, histoire dune ville. Enfin, il faut rappeler quil avait, en 1959, publié avec Robert Attal une étude sur la Hara de Tunis. Aujourdhui introuvable, cet ouvrage mériterait sans nul doute dêtre réédité.
Et puis, remis de ses désillusions, il sest attelé à une partie de son histoire, dont il sétait jusque-là peu occupé: la « judaïcité tunisienne », selon lexpression de son camarade Albert Memmi.
En 1989, il participe à lélaboration de lexcellent ouvrage collectif La Tunisie images et textes. Deux ans plus tard, il publie Histoire des juifs de Tunisie, des origines à nos jours, expliquant comment et pourquoi cette communauté de plus de cent mille âmes qui avait la coquetterie de faire remonter son histoire à la reine Didon sest arrachée à sa terre pour sétablir en France ou en Israël. Son dernier ouvrage paru en 2002 sera Le dictionnaire des Noms des Juifs de Tunisie, dune exceptionnelle richesse dinformation.
En 1994, à Paris, mon ami Abdelbaki Hermassi, qui était à lépoque ambassadeur de Tunisie à lUnesco (il est, depuis peu, le nouveau ministre tunisien des Affaires étrangères), décora Paul Sebag, au nom du président Ben Ali, de lordre du Mérite culturel. Lors de chacune de nos rencontres, Hermassi ne manque jamais de me rappeler « tout ce qui nous unit ».
Je souhaite quil poursuive ce dialogue entre interlocuteurs qui ont encore beaucoup à se dire. Ce serait le meilleur moyen de rendre justice à laction de Paul Sebag.
Claude Sitbon
de Benito Proïetto
La disparition de Paul Sebag ma profondément touché. Jai été son élève à Carnot, en classe de 4ème (année 1951.1952). Professeur de français-latin, il avait eu le grand mérite de nous avoir donné le goût de la recherche et davoir éveillé notre curiosité sur les problèmes économiques et sociaux dun territoire qui était aussi notre pays natal.
Je lui avais écrit il y a quelques années à la veille de sa conférence au dîner-débat où il présentait son ouvrage sur lhistoire de Tunis. Je lui avais rappelé, outre les liens qui me liaient à sa famille (son père, maître Louis Sebag était notre avocat), les recherches quil nous avait suggérées et que jai conservées (comme, par exemple, les transports routiers en Tunisie).
Il mavait répondu avec la même gentillesse quil avait toujours manifestée tout au long de son enseignement. Je nai quun regret : celui de navoir pu le revoir après tant dannées de silence, pour retrouver son sourire affable, expression dune sérénité, dune discrétion et dune sagesse que les moments parfois très difficiles de sa vie navaient jamais pu entacher.
Une grande perte pour la communauté des anciens de Carnot. Un de voir pour nous tous de rappeler dans nos souvenirs lenseignant, le chercheur, lhomme.
Benito Proïetto Latina (Italie) – Lc 1956/philo
Latina (Italie) – Lc 1956/philo
Prof. de français. Historien de la Tunisie.
Photo prise en 1951 et envoyée par Alexandre Delmas