L’enfant et la boutargue D’Yves Taieb (L’Harmattan 2015)

Comme la plupart des 120 000 Juifs  de Tunisie, Yves et ses parents poussés par l’Histoire (décolonisation et conflit isralo-arabe)  ont quitté la Tunisie dans les années 60 et 70 .

Le recit du petit Yves, devenu entre-temps le docteur Yves Taïeb, restitue cette jeunesse heureuse en Tunisie, puis l’exil, et se veut un hommage à sa famille et à ces Juifs tunisiens qui connurent le même sort.


PROGRAMME DE LA SHJT 2013.2014

= dimanche 13 octobre 2013 – Journée des Chercheurs :
Présentation de travaux récents sur l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord, avec la participation de chercheurs français, italiens, israéliens et tunisiens (voir programme spécial ci-joint).
Cette journée se déroulera au Foyer International d’Accueil de Paris, 30 rue Cabanis 75014Paris

=lundi 18 novembre 2013 – Claude Nataf
Président de la S.H.J.T.
« Les Juifs et l’installation du Protectorat français en Tunisie»

=dimanche 8 décembre 2013
71ème anniversaire de la Rafle des Juifs de Tunis par les S.S. (9 décembre 1942)

►10h45 : Cérémonie traditionnelle d’hommage aux Juifs de Tunisie victimes de la barbarie nazie
Mémorial de la Shoah – 17 rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris

►14h00 : « Les Juifs italiens en Tunisie pendant la Seconde Guerre Mondiale »
Table ronde avec la participation de :
– Marie-Anne Matard-Bonucci (Professeur à l’Université de Paris VIII, Directrice du Groupe de Recherche sur l’Italie au Centre d’Histoire de Sciences-Po Paris)
– Silvia Finzi (Professeur à la Faculté des Lettres et des Arts de Manouba –Tunisie)
Et les témoignages-souvenirs de :
– Guillaume Lévi, Renato Bensasson, Léo Morpurgo (sous réserve), Renée Sebag
Auditorium du Mémorial de la Shoah – 17 rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris

►17h15 : présentation en avant-première du film « Les Juifs d’Afrique du Nord aux prises avec Vichy et les nazis (1940-1943) », film réalisé selon une idée de Serge Klarsfeld avec la participation de Michel Abitbol, Mohamed Kenbib, Abdelkrim Allagui, Claude Nataf, Ariel Danan, Benjamin Stora et de nombreux témoins (images inédites).

=mardi 21 janvier 2014 – Claire Rubinstein
Vice-président de la S.H.J.T.
« La représentation des Juifs d’Afrique du Nord par les peintres orientalistes :
esquisse d’une monde juif en mutation »

=mardi 11 mars 2014 – Julie Le Gac
Ancienne Elève de l’Ecole Normale Supérieure.
Chercheuse associée à l’Institut des Sciences Sociales du Politique
(Université Paris Ouest ENS Cachan)
«Contre Vichy, défendre la France et la République :
Les Juifs d’Afrique du Nord dans les Forces Françaises Libres »

=mardi 13 mai 2014 – Habib Kazdaghli
Doyen de la Faculté des Lettres et des Arts de Manouba – Tunisie
« L’ancienne nécropole juive de Tunis du Protectorat à l’Indépendance :
Un enjeu entre urbanisation et tradition»

=mardi 10 juin 2014 – Georges Bensoussan
Directeur de la Revue d’Histoire de la Shoah et de l’enseignement au Mémorial de la Shoah
« Une exclusion silencieuse : le départ des Juifs du Maghreb (1945-1970)»

Lieu des conférences Horaire des conférences : 18h30
Institut Universitaire d’Etudes Juives Elie Wiesel – 119 Rue Lafayette – 75010 PARIS (sauf 8/12/2013 Mémorial de la Shoah)
Métro : Poissonnière ou Gare du Nord
Parkings : Sogeparc – place F. Liszt (10°)

Hommage à Jacques Taieb, historien de la Tunisie

La SHJT organise une journée exceptionnelle pour honorer la mémoire de Jacques Taïeb, historien des Juifs du Maghreb, co-fondateur de la SHJT et professeur d’Histoire et Géographie au lycée Carnot de Tunis pendant de nombreuses années.
Cette journée a lieu le Dimanche 20 mai 2012 au Centre Alliance Edmond J. Safra, 6 bis, rue Michel-Ange- 75016 Paris.

La biographie de Jacques Taieb ainsi que le programme complet de la journée se trouvent dans le document à télécharger sur le site http://www.shjt.fr/tag/histoire/

L’ECLATE-VIE DE JEAN-CLAUDE DANA

Tout au long de sa vie, Jean-Claude Dana a résolument choisi d’adopter le parti-pris de l’optimisme. Sa trop grande curiosité associée à une bonne dose d’inconscience l’a parfois égaré sur de périlleux chemins de traverse et seule la bienveillance de sa bonne étoile l’a aidé à se sortir indemne des tribulations qu’il a vécues.
Dans ce récit picaresque et coloré, l’auteur nous fait parcourir un périple qui s’étend sur une vingtaine d’années, de l’adolescence à l’âge adulte, des années cinquante aux années soixante-dix.
Vous y côtoierez avec plaisir la bande de joyeux drilles de ses amis tunes, juifs tunisiens comme lui, ainsi que d’autres, à l’aube de l’indépendance de l’Algérie.
Les pérégrinations du narrateur vous feront voyager de Tunis à Montpellier, en passant par Grenoble, Besançon et Paris, sans compter quelques escapades lointaines au bout du monde.
Esprit d’ouverture, amour des jolies femmes et des belles voitures, goût du jeu, des armes et de l’aventure sont intimement mêlés dans ce kaléidoscope dans lequel l’humour, sans lequel les choses ne seraient jamais ce qu’elles sont, ne perd jamais ses droits.
Le fil conducteur et la trame de toutes les histoires narrées sont tissés par les rencontres, provoquées ou inopinées, souvent charmantes, parfois dangereuses, voire insolites avec des personnages célèbres.
Vous traverserez les années soixante désormais rendues plus mythiques par la musique et la joie de vivre que par un mai 68 que l’auteur survole avec nonchalance.
Vous croiserez les initiatrices, Marlène la putain et Térésa la Sicilienne pucelle, Marie-Claude et Christiane, les belles instigatrices, Helga, la jolie teutonne, Laura, la fausse timide, Chris, la call-girl, Max, le séducteur mythomane, Elie, l’impavide joueur de poker, Roger, le vieux pied-noir tricheur, Fanfan, le tueur corse gaffeur, Hedi, l’officier de gendarmerie au double visage et bien d’autres…

SEMAINE CONSACREE AUX JUIFS DE TUNISIE

Collection Bernard ALLALI
organisée par « Arts et Traditions Populaires des Juifs de Tunisie »
Au programme de la semaine

Le 10 octobre 20H30 Soirée Littéraire : « Les écrivains juifs tunisiens de langue française »

Le 11 octobre 20h30 Soirée Histoire : « La saga des juifs de Tunisie »

Le 12 octobre 20h30 Soirée Cinéma : Projection du film de Lucie Cariès : « Bons baisers de La Goulette »

Le 13 octobre EXPOSITION de peintures – Vernissage : « Mes Tunes » Œuvres de Jean-Pierre ALLALI (Exposition du 5 au 17 octobre)

Le 16 octobre 20h30 Soirée Découverte : « Les juifs de Tunisie à travers l’archéologie »

Le 17 octobre 20h30 Soirée Médecine : « Les grands médecins juifs de Tunisie »
Du 10 au 17 octobre 2010

Centre Culturel de l’Espace Rachi

39 rue Broca
75005 Paris
Métro : Censier-Daubenton (ligne 7)Du 1O au 17 octobre se tient, au Centre Rachi, une semaine consacrée aux juifs de Tunisie : tables rondes, films, expo de photographies et documents d’exception du 18ème et 19ème siècle.

PHILIPPE SEGUIN IN MEMORIAM

(Philippe Séguin et Michel Hayoun, dans le bureau du Président de l’Assemblée Nationale, en 1996)

La plupart des « anciens  » ont fait le pèlerinage au Lycée Carnot, lors d ‘un séjour en Tunisie. Et vous ?

J’y vais régulièrement, je ne fais pas de visite à Tunis sans passer au lycée. J’y suis allé avec mes enfants et je leur en parle souvent. Cela compte beaucoup pour moi.Comment dirais-je… en dehors de ma chambre, c’est l’endroit où j’ai passé le plus de temps. J’y suis entré en classe de douzième, en octobre 47 à 4 ans. J’ai fait tout mon primaire au petit lycée. A l’époque la douzième, c’était la première porte sur l’avenue de Paris. En douzième et en onzième on sortait en récréation dans la première cour, puis on passait dans la deuxième cour pour la dixième et la neuvième et enfin c’était la troisième cour pour la huitième et la septième.
J’ai passé mon examen d’entrée en sixième et je suis entré au Lycée pour ma sixième et ma cinquième. Je me souviens bien de ma sixième, c’était la 6ème A1, avec Beuchet comme professeur de français-latin. Le meilleur élève s’appelait Malet. Pour moi, la 6ème et la 5 ème n’ont pas été d’excellentes années, j’ai eu du mal à m’y faire: le changement de professeurs, l’éclatement du groupe qui avait fait quasiment le primaire ensemble. D’ailleurs, j’en ai retrouvés; certains m’ont écrit.
J’ai quitté le Lycée Carnot à la fin de la 5ème. Et sans vouloir dévaloriser l’établissement de Draguignan dans lequel je suis entré, cela m’a paru beaucoup plus facile. Il faut reconnaître que le Lycée Carnot était de très bon niveau, les instituteurs étaient solides et les professeurs de haute qualité: par exemple Chaix et Beuchet étaient extraordinaires.

Le passage de la Tunisie à la France, a t-il été un moment pénible?

Oui, ce fut une rupture difficile, parce qu’à la fois le rapatriement, au delà des problèmes financiers, c’est surtout l’éclatement du cercle familial, l’éclatement de l’environnement. On perd ses amis, ses voisins, toutes ses habitudes. Ce n’est pas un moment facile. Encore que moi, j’ai eu la chance d’y revenir en vacances régulièrement jusqu’à 16 ans. contrairement à d’autres pour qui il y eut rupture totale.Mes grands-parents ont quitté la Tunisie au moment de Bizerte. Avec la nationalisation des terres, ils n’avaient aucune raison particulière de rester. Pourtant, ma famille était établie en Tunisie, depuis quatre générations. Moi, je suis né en Tunisie, mon père aussi, mon grand père paternel est venu à 5 ans en 1895. Ses parents étaient originaires de Bordeaux, où Je n’ai que de vagues cousins.
C’est pourquoi mes racines, mes liens sont avec la Tunisie. C’est là que j’ai appris à bouger, à marcher, à courir, à nager. Certains les rejettent, alors que moi, j’assume ma terre natale; je reconnais la Tunisie d’aujourd’hui comme terre natale, et j’ai la chance aussi d’avoir suffisamment de notoriété maintenant pour que non seulement on admette que je la revendique. comme terre natale, mais beaucoup plus même, quand je vais là-bas, je suis encore plus dans ma terre natale, parce que tout le monde s’ingénie à me le rappeler et gentiment à s’en réjouir.

Vous, et la Tunisie, c’est une vraie histoire d’amour?

J’y suis né, j’y ai passé toute mon enfance et les étés de mon adolescence. Je connaissais à l’époque essentiellement Tunis et tout le Nord du pays: Bizerte bien s?r, Tabarka, Hammamet, Nabeul, Korbous, Béja (j’avais de la famille à Béja). J’ai vu ma première neige à Ain-Draham. Je suis incollable sur toutes les plages des environs de Tunis et du Nord: on y allait tout le temps en famille. Je connaissais aussi les îles Kerkennah, on s’y rendait en bateau à partir de Sfax. Je ne suis pas retourné en Tunisie pendant 10 ans de 1961 à 1971-72, étant étudiant à l’…cole Normale d’instituteurs, en faculté d’histoire d’Aix-en-Provence puis à l’ENA Après, en y allant régulièrement, c’est là que j’ai découvert le reste de la Tunisie: Tozeur, Gabès, Djerba…

Et cette enfance hors de France, que vous a t-elle enseigné?

J’ai été incontestablement très marqué par la multiplicité culturelle. Nous, les enfants, à notre échelle de petits, nous partagions les mêmes jeux, nous participions à toutes les fêtes et avec les trois calendriers, nous cumulions les congés scolaires, sans faire de différence. Ce n’est qu’à 9-10 ans, que j’ai entendu les distinctions: « c’est un juif, c’est un arabe, c’est un sicilien » A l’échelon des adultes la coexistence pacifique était plus ambiguÎ C’était effectivement une cohabitation de communautés. On vivait ensemble, on se fréquentait les uns les autres, mais chacun conservait sa spécificité. Lorsque survenait un mariage inter-communautés, chrétien-juif, chrétien-musulman, musulman-juif, tout Tunis en parlait; mais aussi, il faut être juste, on jasait autant pour un mariage protestant-catholique
Moi-même, les deux femmes qui s’occupaient de moi de 0 à 7 ans, était l’une maltaise que j’appelais tantine, l’autre, une vieille dame juive livournaise madame Lumbroso.Ma mère travaillait, elle était institutrice dans une école franco-arabe. Alors quand elle ne pouvait pas me faire garder, j’allais souvent dans un coin de sa classe faire mes devoirs. Dès le départ, comme vous le voyez, je ne risquais pas d’entrer au  » Front National  » tout de suite. Je me souviens d’ailleurs d’ une anecdote significative: ma mère dans sa classe franco-arabe à majorité tunisienne, avait demandé un jour  » Qui est français ? » et toute la classe s’était levée.
La culture française, avec tous ces gens différents, était un élément fédérateur. Le Lycée Carnot, lui aussi, était un lieu où se retrouvait une situation multiculturelle, mais tous les élèves étaient liés par cette culture française. Regardez les noms derrière n’importe quelle photo de classe: vous avez des français, des siciliens, des juifs, des italiens… A l’époque l’élite tunisienne était à Sadiki, ce n’est qu’après qu’elle est venue à Carnot.
Ce que l’on peut tirer comme enseignement, de toutes ces situations existant en Tunisie, montre que l’on pouvait vivre ensemble. C’est que la relation entre les gens dans ce pays, cette relation va au delà de la simple solidarité d’origine; les gens se reconnaissent. Je vous en donne un exemple… France 3 fait une série sur les hommes politiques, chacun pouvant choisir son réalisateur. Moi j’ai choisi Serge Moati: parce qu’au delà des clivages politiques, nous partageons les mêmes valeurs fondamentales.

Vous êtes désormais notre Président d’honneur , en dehors de regrouper les « anciens » quel rôle peut jouer l’association ?

Comme priorité, je suis particulièrement sensible à la relation franco-tunisienne Le Lycée Carnot est une des plus belles réussites de cette relation, de ce qu’elle a pu faire et de ce qu’elle doit rester. Les « anciens » sont un groupe de personnes qui témoignent de ce que cette relation a de fécond et leur rôle est de faire en sorte qu’elle perdure. Renouer les liens, c’est extrêmement important.
Par exemple, le Lycée Carnot a donné naissance aujourd’hui à un Iycee tunisien et à un centre culturel français. Il faut que les gosses, du Lycée d’aujourd’hui, n’aient pas honte de s’être appelés Carnot. Je crois qu’il faut les aider à assumer leur filiation: une initiative intéressante serait de créer un prix récompensant un élève de ce Lycée. Tout ce qui permet d’ouvrir le présent sur l’histoire joue un rôle positif.
Dans ma ville, j’ai fait transformer le régiment d’Epinal en régiment de tirailleurs d’Afrique du Nord, en hommage à la tradition historique. Pour célébrer les cérémonies de la Libération, ce régiment avait organisé une journée « portes ouvertes ». Avec leurs uniformes, leurs symboles, leurs emblèmes, on se se serait cru à Tunis. D’ailleurs, il faudra que les anciens de Carnot viennent à Epinal rencontrer ce régiment.
L’association peut donc vraiment jouer ce rôle de lien entre le passé et le futur, entre la Tunisie et la France et entre tous ces gens qui se reconnaissent comme la composante de ces ponts, Que tous ceux qui sont passés par les bancs du Lycée Carnot se mobilisent à cet effet.

En 1996, Effy Tselikas et Michel Hayoun ont rencontré Philippe Séguin alors président de l’Assemblée Nationale. Durant plus d’une heure sous les lambris dorés de l’Hôtel de Lassay, a résonné notre mémoire commune d’anciens élèves du lycée Carnot.
Effy Tselikas est journaliste et ancienne de Carnot (term. 1972)
Michel Hayoun est consultant et président de Carnot Tunis (term.1965)

CONFERENCE DE LA SHJT

le lundi 31 janvier 2011 à 18 h 30
au Centre Communautaire de Paris
119 Rue La Fayette – PARIS 10ème

à la conférence de Monsieur Philippe LANDAU
-Conservateur des archives du Consistoire de PARIS- :

« Victor SEBAG : un juif de Tunisie sur le front d’Orient (1915-1918) »
A travers 500 lettres échangées avec sa femme, Victor SEBAG, juif tunisien naturalisé français, témoigne du patriotisme, de la grandeur et des horreurs de la guerre, tout en étant conscient que l’antisémitisme n’est pas absent dans les régiments de zouaves.
Unique en son genre, cette correspondance apporte des éclaircissements sur les évènements de la 1ère guerre mondiale et sur la vie d’un couple séparé pendant plus de trois années.

Victor SEBAG est le père de l’historien Paul SEBAG qui fut à l’initiative des recherches sur l’histoire des juifs de Tunisie.

Philippe LANDAU
est l’auteur de :
– Les juifs de France et la grande guerre. Un patriotisme républicain (1914-1941)
– L’opinion juive et l’affaire Dreyfus
et a collaboré à :
– Identités israéliennes : modernité et mémoire d’une nation
– Inscriptions juives dans l’espace.

Conférence autour du livre de Philippe LANDAU «  »Victor SEBAG : un juif de Tunisie sur le front d’Orient (1915-1918) » le 31 janvier, organisé par la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie.

LE PROGRAMME 2010/11 DE LA SHJT

– à 17h30 : leçon de présentation du livre par Dominique Jarassé (Professeur d’histoire de l’art contemporain français. Spécialiste du patrimoine juif français). Cet évènement est réalisé en partenariat avec le centre communautaire de Paris.

= dimanche 5 décembre 2010 à 10h45 précises au Mémorial de la Shoah
Cérémonie traditionnelle d’hommage aux Juifs de Tunisie victimes de la barbarie nazie à l’occasion de l’anniversaire de la rafle des Juifs de Tunis par les S.S. (9 décembre 1942). Cette cérémonie se déroulera sous la présidence effective de Monsieur Gilles Bernheim Grand Rabbin de France, et en présence des représentants diplomatiques de Tunisie et d’Israël en France, du Maire de Paris et de diverses personnalités.

Mémorial de la Shoah – 17 rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris

= lundi 31 janvier 2011 – M. Philippe Landau,dr en histoire – Conservateur des archives du Consistoire Central : »Un Juif de Tunisie combattant aux Dardanelles durant la première guerre mondiale d’après les lettres de guerre de Victor Sebag »

= mardi 29 mars 2011 – M. Claude Nataf,Président de la SHJT : « Des « Dames israélites de charité » à « Nos Petits », « l’O.S.E. » et « l’O.R.T ». ou de l’assistance-charité à l’action pour la transformation sociale au sein de la communauté juive de Tunisie »

= mardi 24 mai 2011 – Mme Claire Rubinstein,Vice-présidente de la SHJT : « Moses Lévy (1885-1968) peintre de la Tunisie plurielle »

= en mai ou juin 2011 (date communiquée ultérieurement) – Journée consacrée à la présentation de travaux universitaires récents sur l’histoire des Juifs de Tunisie
TOUTES LES CONFERENCES ONT LIEU AU CENTRE COMMUNAUTAIRE DE PARIS – 119 RUE LA FAYETTE – 75009 Paris à 18h30 ? Métro : Poissonnière ou Gare du Nord

Parkings : Sogeparc – place F. Liszt (10°) ; Garage l’Abbeville – 5 rue Abbeville (10°)
Contact – Tél. : 06.07.36.41.87 – Mail : shjt.errera@orange.fr

Site Internet : www.shjt.fr ; site Facebook : SHJT
Programme Société d’Histoire des Juifs de Tunisie – Année universitaire 2010-2011

= mardi 26 octobre 2010 – M. Denis Cohen-Tannoudji,Vice-président de la SHJT : « L’histoire sépharade maghrébine illustrée avec un récit familial »
= dimanche 14 novembre 2010 à 15H – Les SYNAGOGUES de TUNISIE : après-midi consacré à l’ouvrage de Dominique Jarassé et Colette Bismuth-Jarassé sur les synagogues de Tunisie (Vernissage de l’exposition, témoignages par Claude Nataf et Pierre Besnainou)

DANS « JEUNE AFRIQUE » DU 28/4/08: TRES COTES, TRES COUTEUX LES LYCEES FR DE TUNIS

Tous ont encore en mémoire des fous rires et moments d’insouciance passés dans les cours ensoleillées des lycées français de Tunisie. « Ce sont mes plus belles années. Le lycée Carnot de Tunis était un lieu d’enseignement privilégié. Juifs, chrétiens ou musulmans, nous étions tous comme des frères », se souvient Hamed Ben CHEDLY, aujourd’hui médecin à La Marsa, dans la douce banlieue nord de Tunis. « C’était le temps des boums du samedi soir, des soirées guitare, de la préparation des examens, de la solidarité et de la fraternité entre différentes communautés », ajoute une ancienne élève du même établissement.
Philippe Séguin, l’actuel président de la Cour des comptes française et ancien élève du lycée Carnot, explique cette ambiance particulière : « Il y avait des Français, des Siciliens, des Juifs, des Arabes, des Maltais, etc. Aujourd’hui, cette relation entre gens issus de ces lycées va au-delà de tous les clivages politiques, religieux et nationaux. Nous partageons des souvenirs et des références qui sont, en fin de compte, des valeurs communes. »
Certains de ces adolescents qui ont grandi ensemble sont devenus aujourd’hui d’éminentes personnalités. Habib Bourguiba, ancien président de la République tunisienne, Ferid Boughedir, cinéaste tunisien, Georges Wolinski, dessinateur, ou encore Michel Boujenah, comédien et humoriste, ont tous usé leurs fonds de culotte sur les bancs du lycée Carnot. Pendant un siècle (1882-1983), cet établissement a accueilli des milliers d’élèves issus du pourtour méditerranéen avant d’être intégré au système éducatif tunisien, et de devenir le lycée pilote Bourguiba.

LA MISSION FRANCAISE PLEBISICITEE
Actuellement, il existe en Tunisie deux lycées français : le lycée Pierre-Mendès-France dans le quartier tunisois de Mutuelleville, et le lycée Gustave-Flaubert, à La Marsa, plus connu sous le nom de « lycée Cailloux ». Tous deux dépendent de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) et sont intégrés au réseau des 430 lycées français disséminés à travers le monde. Tous ces établissements ont en commun les mêmes méthodes et des programmes similaires, élaborés par le ministère de l’Éducation nationale français.
À l’origine, ces lycées ont été mis en place pour scolariser les enfants des expatriés, mais aussi, et surtout, pour former dans les pays colonisés ou sous protectorat, une intelligentsia locale favorable à la France. « Les lycées français à l’étranger constituent un atout majeur pour la francophonie et pour l’influence de nos idées, de nos valeurs et de notre culture dans le monde, affirme-t-on au ministère des Affaires étrangères français. Les étudiants étrangers issus de ces établissements seront susceptibles de devenir des interlocuteurs précieux dans le cadre des responsabilités qu’ils assureront plus tard. C’est particulièrement vrai pour la Tunisie, pays avec lequel nous avons toujours des relations très étroites. » En clair, ces lycées sont de véritables pépinières pour futures élites francophones.
Aujourd’hui, leurs élèves sont pour une grande majorité des nationaux francophones, auxquels s’ajoutent un certain nombre de binationaux et quelques étrangers. La mission première de ces lycées est d’assurer la continuité du service public français à l’étranger afin que tout élève français puisse poursuivre une scolarité classique en Tunisie. Mais, compte tenu de la proportion des nationaux (plus de 60 %) dans les effectifs, ces établissements jouent de plus en plus un rôle d’interface entre la France et le pays d’accueil (apprentissage obligatoire de la langue, diplômes binationaux, activités culturelles, etc.). Leur objectif est donc de prodiguer un enseignement de qualité et en parfaite adéquation avec les programmes pédagogiques en vigueur en France.
Un système qui attire de plus en plus les Tunisiens. Pour l’année scolaire en cours, plus de 3 000 élèves sont inscrits dans un établissement français de la sixième à la terminale, dont 1 630 au lycée Pierre-Mendès-France et 1 500 élèves au lycée Gustave-Flaubert. « J’ai fait le choix d’inscrire mes trois filles au lycée Gustave-Flaubert et j’en suis ravie, explique Latifa, 56 ans, comptable. Elles ont une bonne culture générale et font preuve d’imagination et d’esprit d’initiative. Le melting-pot de ces lycées français est une vraie chance pour elles. C’est un passeport pour la modernité. »
Les parents, souvent issus eux-mêmes d’un établissement français, voient dans cette scolarité un accès plus facile à des études supérieures à l’étranger, et plus particulièrement en France. « J’ai fait mes classes au lycée Carnot de Tunis et j’ai préféré inscrire mon garçon à la Mission française afin qu’il puisse plus tard poursuivre ses études universitaires en France. Soyons honnêtes : avec le durcissement des conditions d’obtention d’un visa pour l’Hexagone, un élève issu d’un lycée français a plus de chances d’intégrer une faculté française qu’un élève du système local tunisien », confie Rafik, industriel dans la région de Sfax. Ainsi, en 2007, 65 % des élèves ayant obtenu leur baccalauréat au lycée Gustave-Flaubert ont choisi de poursuivre leurs études universitaires dans un établissement français et seuls 18 % ont opté pour un établissement local. Autre avantage non négligeable des lycées français, le renforcement récent de l’enseignement de l’arabe. « Le bon niveau de la langue arabe m’a encouragée à y scolariser mon fils. Aujourd’hui, il est aussi à l’aise en français qu’en arabe. C’est un atout de taille », explique Karima, femme au foyer.

GRATUITE POUR LES FRANCAIS
Mais tout le monde n’a pas si facilement accès aux lycées français, loin s’en faut. Avec des frais de scolarité annuels de 1 400 DT (777 euros) pour le premier cycle et de 1 800 DT (1 000 euros) pour le deuxième cycle, nombreux sont les parents qui n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants à la Mission française. Seule une élite fortunée peut offrir ce type de cursus à ses enfants. D’ailleurs, les élèves sont issus, pour l’essentiel, de la bourgeoisie commerçante et industrielle, ou de familles dont les parents exercent des responsabilités politiques ou une profession libérale. « Il est impossible pour nous de payer des frais de scolarité aussi élevés, confie le couple Trad, tous deux cadres moyens dans une banque de Tunis. Nos salaires réunis ne suffisent pas pour inscrire nos deux enfants dans un lycée français. Alors nous avons opté pour un lycée local et, finalement, tout se passe très bien. Même si, au fond, nous regrettons la Mission française. » Il est normal de payer des frais de scolarité, « mais à ce niveau-là, seuls les privilégiés y ont accès », peste un autre parent d’élève. Ces droits d’inscription, souvent prohibitifs et inaccessibles pour une grande partie de la population, financent le budget de fonctionnement des établissements ainsi qu’une partie des salaires des professeurs recrutés sur place.
Jusqu’à une date récente, les nationaux et les élèves français payaient les mêmes montants en frais de scolarité. La situation ne devrait plus durer puisque la gratuité pour les expatriés était l’une des promesses de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle. Le 28 février 2007, ce dernier déclarait, devant un parterre d’expatriés réunis au Palais des congrès de la capitale espagnole, vouloir que « les Français de Madrid, de New York, de Tokyo, de Shanghai, de New Delhi ou de Tunis ne se sentent pas abandonnés mais, qu’au contraire, ils aient le sentiment que la France ne les oublie pas ». Un message qu’il a d’ailleurs répété un mois plus tard. La baisse des coûts de scolarité était, en effet, une vieille revendication des Français de l’étranger. Cette réforme s’appliquera dans le monde entier. Premières à en bénéficier : les classes de terminale, dont les frais de scolarité devraient être remboursés dès cette année aux parents d’élèves français. Les classes de première et de seconde profiteront de mesures équivalentes lors des prochaines rentrées. Mais, pendant ce temps, les nationaux continueront de payer le prix fort. Se former à l’école française restera donc encore longtemps un rêve que seuls les enfants de l’élite pourront concrétiser.
L’aura des lycées français reste forte. Même si, compte tenu des frais de scolarité élevés, les deux établissements existants en Tunisie apparaissent de plus en plus sélectifs.
Célèbres ou anonymes, les anciens de ce qu’on appelle communément la « Mission française » en parlent souvent la larme à l’œil.

Cadeau de Claude RIZZO pour l’an nouveau : une histoire inspirée par celle de sa famille

La honte était parvenue à vaincre sa terreur de l’enfer. Dieu comprenait sans doute la détresse qui le poussait au parjure. L’un des souliers de sa dernière paire s’était ouvert comme une figue trop mûre. Sa chemise partait en lambeaux et ses pantalons ne semblaient pas en meilleur état.
— Tu lui diras la vérité, lui conseilla sa mère. Sur cette île, nous ne sommes pas les seuls à manquer de tout, même de nourriture.
Putain de misère ! L’Archipel maltais connaissait sa troisième année de sécheresse. La terre, brûlée par le soleil et le sirocco, s’ouvrait de crevasses larges comme le poing. Les denrées devenaient un luxe que seuls les Anglais pouvaient encore s’offrir. Une garnison de quinze mille hommes, les fonctionnaires et leur famille qu’il fallait nourrir : les Britishs raflaient le peu que l’île produisait encore, précipitant la population dans la famine.
Face à la calamité, certains Maltais osaient chuchoter, imaginant que l’on pourrait importer quelques sacs de blé français. Ces messieurs leur riaient au visage. L’Empire britannique s’en remettant à la France pour approvisionner ses colonies. Fallait-il être maltais pour imaginer une telle humiliation.
— Je crois bien que je vais y aller, annonça Paul Caruana sans bouger d’un pouce.
Il eut un regard par la fenêtre ouverte. Le troupeau s’était rassemblé au bout du champ. Plus rien à brouter, deux chèvres étaient mortes en quelques semaines et les survivantes ne donnaient plus de lait.
Paul passait désormais ses journées dans la crique voisine. La vingtaine de minuscules poissons de roche, une paire de mulets, une dorade les jours de chance, représentaient bien souvent leur seul repas.
Caruana finit par se lever et sortit.

— La lettre vient de ton frère, annonça le capelan après avoir ouvert l’enveloppe.
— De Gaëtano, vous en êtes sûr ?
Paul n’en revenait pas. Il vivait dans la certitude qu’il n’entendrait plus parler de son aîné. Celui-ci avait passé des semaines sur le port de La Valette, dormant sur les quais dans l’espoir d’être embauché sur l’un des navires faisant escale sur l’île. Il avait de toute évidence réussi son coup malgré la concurrence. Ils étaient des milliers à rêver de départ vers des terres hospitalières où les enfants n’auraient plus jamais faim. Un sixième de la population se préparait en effet à quitter le pays de ses ancêtres. Ces hommes, ces femmes, allaient ainsi engendrer la plus importante émigration en pourcentage que le monde n’ait jamais connue.
— Où est-il en ce moment ? demanda Paul.
Le curé se signa avant de répondre :
— À Tunis, chez les Barbaresques.
Un nom rappelant à lui seul la terreur aux couleurs de l’enfer qui fut imposée aux habitants de l’archipel durant des siècles. La guerre de course connaissait alors de beaux jours. Corsaires de Tunis et d’Alger, Chevaliers de Malte, se rendaient la politesse dans des razzias où les populations capturées finissaient sous le joug de l’esclavage. Ces visites croisées appartenaient désormais au passé. La France avait occupé l’Algérie. La Royal Navy veillait sur le sommeil des ayants droit de son Empire. Et il est prouvé que l’on dort bien mieux le ventre vide.
— D’après ce qu’il raconte, ajouta le capelan, la vie est plus facile chez les païens pour les hommes qui n’ont pas peur du travail. Il vous propose, à ta mère et à toi, d’aller le retrouver. Il te demande aussi d’amener tes chèvres. Il paraît que les gens de là-bas apprécient le lait des chèvres maltaises.
Le curé hocha la tête.
— Je serais bien étonné qu’un mahométan puisse faire la différence entre le lait de chèvre et celui de brebis. Bon, je continue. Il attend ta réponse. Si vous donnez votre accord, il enverra quelqu’un vous chercher d’ici quelques semaines. Il faudra vous tenir prêts à tout moment. Le bateau ne pourra pas vous attendre. Il finit en disant qu’il fera son affaire du coût de la traversée et qu’il vous embrasse.
Le prêtre remit la page de papier quadrillé dans l’enveloppe.
— Si tu veux, je t’écrirai la réponse.
— Merci mon père ! Je réfléchis avec ma mère et je vous dirai, répondit Paul en se levant.
— Et n’ai pas honte de venir à la messe le dimanche, lui dit encore le prêtre en le raccompagnant. Je te rassure. La moitié des paroissiens qui assistent aux offices n’ont plus de chaussures.

Le sujet occupa désormais la plupart de leurs échanges. Mme veuve Caruana percevait dans cette opportunité une chance à ne pas laisser passer. Jamais elle n’envisagea toutefois de faire partie du voyage. Le bout de son chemin se trouvait ici, près de son époux, dans le petit cimetière bordant l’église paroissiale.
Paul décida alors de classer le projet dans le tiroir des affaires sans suite. Il se préparait à rendre une nouvelle visite au capelan quand sa mère revint à la charge.
— Tout est arrangé, lui dit-elle. Tu n’as plus à te soucier de moi. J’irai vivre chez ta sœur Fiona. Son mari est d’accord pour m’héberger. Il te demande seulement de lui donner quatre chèvres avant de partir.

Paul s’éveilla en sursaut. On frappait à la porte sans ménagement.
— Tu as une demi-heure pour te préparer et réunir tes bêtes, annonça l’un des deux visiteurs dans un maltais chancelant. Le bateau est ancré dans Saint George’s Bay. Départ dans deux heures.
— Comme ça, en pleine nuit ?
L’autre eut un sourire.
— Hé oui, c’est ainsi, notre métier se pratique plutôt de nuit.
— Et quel est votre métier ?
— Le même que celui de ton frère Gaëtano et de bien des Maltais de Tunisie. C’est une sorte d’import-export où les échanges se font bien plus dans les criques isolées que dans les grands ports. Tu vois ce que je veux dire ?
Non, Caruana ne voyait pas. Mais l’instant se prêtait peu aux éclaircissements. Le temps de serrer sa mère contre lui, de sortir les chèvres de la bergerie, Paul Caruana quittait Ghar Dalam, le village de ses ancêtres. Deux heures plus tard, son île disparaissait dans les brumes de la nuit. Il ne devait plus jamais y revenir.

Tunis 1846.

Camerla Caruana attela son bouc à la petite charrette imaginée et conçue par son époux. Elle installa Fifine au premier étage, l’impériale en quelque sorte, capitonnée d’un vieil édredon et garnie d’un parapluie à l’usage de toutes les saisons.
Le nourrisson ouvrit les yeux, sourit à sa mère et se rendormit. Camerla lui passa la main sur le visage dans une tendre caresse.
— C’est l’heure de ta promenade, lui dit-elle en chargeant un arrosoir et une éponge destinés à nettoyer le pis de ses bêtes.
Le troupeau se mit en marche. Le bouc, sérieux comme un officier de l’armée des Indes, gardait ses distances, avançant à deux pas derrière sa patronne sans jamais se laisser distraire par les trognons de légumes et les papiers gras parfumés par les restes de gâteux au miel.
— Aïa, aïa ! Mourou, mourou ! criait Camerla, prolongeant ses appels d’un sifflement inimitable, connu dans tout le quartier franc et dans les moindres ruelles de la Médina.
Les premiers clients sortaient sur le pas de la porte, provoquant un affrontement général. Les chèvres perdaient alors leur flegme, se distribuant maints coups de corne dans leur désir de se présenter en tête devant Camerla. Leurs mamelles traînaient au sol, battaient leurs pattes et les faisaient souffrir. Leur combat était celui de la liberté.

Paul Caruana quitta l’église Sainte Croix. Assis sur les marches, il enleva ses chaussures, noua les lacets et les posa ainsi sur son épaule. Un geste guidé par un souci d’économie qui ne le quittait pas malgré les trois pièces d’or que son travail et celui de son épouse leur avaient rapportées.
Le curé, un Italien du Nord, blond comme un ange du Paradis, sortit à son tour et vint s’asseoir à ses côtés.
— Paolo, lui dit-il, je voudrais te donner un conseil. Et je pense qu’il serait sage que tu le prennes au sérieux. Vois-tu, je crois qu’il est temps que ton fils Nazzareno fréquente l’école italienne.
Caruana hocha la tête. L’idée lui paraissait plus que saugrenue.
— À l’école, mais pour quoi faire, mon père ? demanda-t-il.
— Pour apprendre à lire et à écrire. Mais aussi pour parler un bon italien. Vous savez que vous, les Maltais de Tunisie, vous êtes destinés à devenir italiens un jour ou l’autre. Et je pense que c’est là le désir de la majorité d’entre vous.
Paul ne pouvait nier que le prêtre avait raison. Les quelques milliers de Maltais vivant à Tunis subissaient de plus en plus l’influence italienne, seule communauté européenne organisée, défendue par une ambassade puissante et active.
Malte, n’étant pas considérée comme une nation, ses habitants ne pouvaient prétendre à aucune citoyenneté. Une époque où la loi tunisienne imposait aux consulats européens de prendre en charge leurs ressortissants. Mais où caser ces Maltais devenus bien encombrants ? L’ambassade du Royaume-Uni, sur la demande présente du Bey, fut contrainte de reconnaître leur existence. Et les voici sujets de l’Empire britannique ou éléments anglo-maltais suivant l’humeur d’un secrétaire de service.
Une décision qui n’en fit pas des Anglais pour autant. Le seul chemin qui s’ouvrait devant eux les dirigeait vers la nationalité italienne. Toute l’organisation de la vie quotidienne les y invitait : la paroisse Sainte-Croix sur laquelle régnait un clergé italien, les journaux, les écoles, l’île de Malte qui se perdait dans les souvenirs, les mariages mixtes et la volonté légitime d’appartenir à une nation prête à les reconnaître comme citoyens à part entière.
— Je parle l’arabe, le maltais et l’italien, fit remarquer Caruana. Et pourtant, je ne suis jamais allé à l’école.
Le prêtre eut un sourire.
— Il est question de l’italien, du vrai, pas du charabia sicilien que j’entends ici tous les jours, et auquel j’ai dû m’adapter pour me faire comprendre.
Caruana promit de réfléchir. Dix minutes plus tard, se promenant dans la Médina, il avait oublié le prêtre et sa drôle d’idée.
Paul ne pouvait se lasser du spectacle que lui offraient les marchés de Tunis. Il devait bien admettre qu’Allah pouvait se montrer plus généreux que le Christ quelquefois. Des montagnes d’agrumes, un jardin potager béni des dieux, des pastèques qu’un seul homme ne pouvait porter, des dizaines de boucheries proposant des agneaux enlevés à leur mère et des moutons à la chair ferme et odorante suivant les goûts. Des marchés vivants, bruyants, animés par des orchestres de rues, des diseuses de bonne aventure et des charmeurs de serpents. Des marchés où l’odorat était assailli à chaque instant : coriandre, clou de girofle, tebelcarouia, camoun, se mélangeaient dans des bouquets qui n’appartenaient qu’à l’Orient.
Caruana constata à nouveau que la Tunisie l’avait capturé. Il aimait ce pays et tous les êtres qui le partageaient : Arabes, Juifs, Siciliens et Maltais. Il en était à présent certain. C’est sur cette terre qu’il voulait mourir.
Paul retrouva son fondouk du quartier franc, le seul où les chrétiens étaient en droit de résider.
Des pièces l’une dans l’autre ouvraient sur une cour aux allures d’arche de Noé. Les cochons, volailles et chèvres des locataires partageaient l’espace avec les ânes des Tunisiens en visite à la Médina et les chameaux de tribus nomades résidant en ville le temps de vendre les produits de leur artisanat.
Là, s’entassaient une trentaine de familles maltaises, parmi les immondices, dans le doux parfum du fumier et des ordures. Et quand le temps se mettait à l’orage, lorsque ces tornades propres à la Méditerranée arrosaient la ville, leur arrivait alors tout ce que l’eau charriait avec elle. Le quartier franc méritait bien son titre d’égout de Tunis.

Tunis 1862.

On enterrait ce jour-là Paul Caruana, emporté par l’épidémie de typhoïde qui avait eu comme effet d’élaguer le quartier franc et de libérer ainsi quelques places pour de nouveaux immigrants. Le flot des miséreux arrivant de Sicile et de Malte n’était pas près de se tarir. Sans cette loi beylicale absurde, les contraignant à s’entasser dans le cloaque de la ville, leur existence aurait eu un goût de miel. Ce pays ne comptait en effet que dix-sept habitants au kilomètre carré. L’archipel maltais en dénombrait plus de six cents.

Tunis 1881.

Nazzareno Caruana était arrivé deux bonnes heures avant le début du défilé. La foule des grands jours se pressait le long de la Promenade de la Mer. Les Tunisiens étaient venus en nombre, voulant sans doute célébrer l’arrivée d’une civilisation éclairée qui les sortirait enfin de leur Moyen-Âge. Les juifs paraissaient plus sceptiques. Ils jugeraient sur pièce, l’Histoire leur ayant enseigné que ses vicissitudes les désignaient bien souvent comme bouc émissaire.
Caruana, lui, était là pour jouir d’un spectacle gratuit. L’événement ne semblait pas de nature à changer le cours de son existence. La France, à cette époque, offrait aux Maltais une image trouble et mitigée. Ces derniers n’avaient pas oublié le passage de Bonaparte et de ses soudards sur leur île. Les soldats de la Révolution, portant dans leurs bagages l’utopie de la liberté, furent accueillis comme des libérateurs. Ils sonnaient le glas du règne des Chevaliers, maîtres de l’Archipel depuis 1530. Dix-huit mois plus tard, les habitants se révoltaient contre ces envahisseurs hautains et pillards de surcroît. Les Anglais les avaient aidés à renvoyer chez eux ces visiteurs encombrants. Ils devaient oublier de quitter l’île une fois leur généreuse mission accomplie. L’image de la France retrouvait quelques couleurs avec la prise d’Alger, ce nid de pirates coupable de bien des razzias durant des siècles. Une nouvelle rencontre entre Français et Maltais s’annonçait. Allait-elle déboucher sur le pire ou le meilleur ?
Les Italiens s’étaient enfermés chez eux. Cette journée représentait à leurs yeux une bien lourde défaite. La France venait en effet de leur chiper une place que l’Histoire semblait leur avoir réservée.
Nazzareno Caruana se moquait bien en cet instant de toutes ces tribulations politiques. Privé de citoyenneté, il n’était mû par aucun sentiment national. Il appartenait à la tribu des Maltais de Tunis : c’était bien là son seul drapeau. Même l’île de ses ancêtres se perdait dans les souvenirs. La dernière lettre remontait à dix ans. Elle lui annonçait la mort de sa grand-mère et ouvrait ainsi le livre de l’oubli.
L’on entendit enfin la musique. La grande et belle armée coloniale remontait le Boulevard de la Mer. Une heure de spectacle haut en couleurs durant laquelle la France montra ses muscles. La Tunisie n’avait pas choisi sa puissance protectrice par hasard. Et les insurgés du Centre et du Sud ne semblaient pas avoir compris que l’on venait de leur offrir mille ans de bonheur et de prospérité.
Caruana retrouva les trois pièces de son fondouk où s’entassait la marmaille. Pris par le quotidien, il oublia la France et son Protectorat. L’événement ne paraissait pas de nature à changer le cours de son destin.

Tunis 1920.

Lazare Caruana arrêta son araba face au 56 rue de la Verdure. Il quitta sa charrette, flatta la croupe de son anglo-arabe dans une caresse de père.
Le cheval venait d’entrer dans l’existence des Caruana du fondouk de la rue Sidi Kadous. Il écrivait ainsi la première page d’une épopée riche de plusieurs volumes.
Rachid Boussen l’attendait. Il servit le thé, puis ouvrit le propos par maints salamalecs comme il se doit avant de parler affaire.
— Pourquoi la majorité des Maltais choisissent-ils ce quartier pour s’y installer ? demanda-t-il ensuite.
— Parce qu’ils veulent rester ensemble, répondit Lazare sans hésiter. Et maintenant, ici, nous avons notre église et notre cimetière.
Avec l’arrivée de la France, Tunis sortait de ses murailles et connaissait une expansion sans précédent. La ville nouvelle avait choisi son camp. Elle devait faire de Tunis la cité la plus européenne d’Afrique du Nord.
Les Maltais, un suivant l’autre, s’étaient installés dans le quartier de Bab el-Khadra, donnant ainsi leur nom à quelques rues des environs : rue Malta Srira, rue des Maltais, rue de la Valette.
Chaque jour voyait s’ouvrir de nouveaux chantiers, au grand bénéfice de la communauté italienne. Cette dernière conservait pourtant toute son animosité à l’endroit de la France, rêvant d’un renversement de situation qui ferait de la Tunisie une colonie transalpine.
Lazare Caruana avait perçu qu’il pouvait tirer profit de cette manne inespérée. Il avait ainsi investi les quelques sous que lui avait laissés son père dans une charrette et un cheval solide et résistant. Transporteur de matériaux de construction, il travaillait douze heures par jour et six jours par semaine.
— Et ça te gène de vendre tes terrains aux Maltais ? demanda-t-il en retrouvant Rachid Boussen.
Le Tunisien eut un geste de la tête. Le sujet éveillait chez lui des sentiments contradictoires. Des champs où ne poussaient que des melons, devenus grâce à la France de véritables pépites d’or. Mais la France avait fait de lui un colonisé. Sans doute le colonisé le plus riche du quartier. À combien toutefois peut-on chiffrer l’estime de soi ?
— Tout compte fait, je préfère les vendre à des Maltais, qui parlent presque tous arabe, qui vivent comme nous et que nous considérons un peu comme nos cousins. Et en plus, ils appellent leur dieu chrétien Allah.
— Ce n’est pas un exploit pour nous de parler arabe. Nos langues se ressemblent et nous sommes presque voisins.
Lazare pratiquait aussi le sicilien commun aux quartiers populaires. Le français lui posait par contre bien plus de problèmes. Cette langue s’imposait pourtant un peu plus chaque jour. Et la parler comme il se doit vous distinguait son homme. Aussi, comme bien des membres de la communauté, Lazare avait décidé d’envoyer ses enfants à l’école des Français.
— Alors, à combien tu me le fais ce bout de terrain ? demanda-t-il.
Rachid Boussen annonça un prix.
— Al Madona ! s’écria Caruana en levant les bras au ciel. Encore heureux que tu me considères comme ton cousin, sinon, tu me prendrais même mon pantalon.
Le Tunisien eut un sourire. On disait des Maltais qu’ils avaient hérité du sens des affaires des Phéniciens, le premier envahisseur de l’île, et celui qui avait sans doute forgé la mentalité de ses habitants.
Deux heures de négociation à la mode orientale, sourire aux lèvres, sans jamais quitter sa bonne humeur. Retrouvant son araba, Lazare Caruana avait acquis quatre ares de terrain, situés sur la place de Bab el-Khadra, avec une vue imprenable sur le cimetière musulman. Il venait de pénétrer dans le monde très fermé des capitalistes. Ne lui restait plus qu’à devenir colonialiste.

Tunis 1921.

Le Français est un être casanier, attaché au clocher de son village. La France enregistre dès lors un échec dans sa volonté de peupler son empire à partir d’éléments venus de la métropole.
En Tunisie, le péril italien continue à inquiéter le Ministre résident. La France manque de citoyens à opposer au groupe italo-sicilien. Qu’à cela ne tienne, elle va en rechercher dans le stock que la colonisation a mis à sa disposition.
Lazare Caruana s’endormit au soir du 7 novembre 1921. Il portait en cet instant le titre peu glorieux d’élément anglo-maltais ; sous-produit de l’Empire britannique en d’autres mots. Drôle d’Anglais à vrai dire, bien incapable de dire bonjour et au revoir dans sa langue. Il s’éveilla au matin du 8 novembre. Le Bey venait de signer le décret qu’on lui présentait, attestant que tout Maltais né dans la Régence devenait français, avec, pour les jeunes, la possibilité de renoncer à cette disposition à leur majorité. Et le voici désormais citoyen de la grande puissance coloniale. Drôle de français en réalité, à peine capable de dire bonjour et au revoir dans sa langue.
Cinq mille six cents Maltais venaient ainsi de changer de nationalité sans que l’on eût l’idée de leur demander leur avis. C’était toutefois sans compter sur la réaction de l’Angleterre. Le consul de ce pays se découvrit une affection soudaine pour ces « sujets » dont on venait de le priver. Une tendresse où le sentiment anti-français joua sans doute un rôle essentiel. L’affaire fit grand bruit. Et la Cour de justice internationale eut à trancher le différend. La France fut ainsi condamnée à restituer ces naturalisés d’office à la Grande-Bretagne.
Caruana, après avoir goûté aux bienfaits du colonialisme, se retrouva à nouveau dans le camp des colonisés. L’Angleterre eut alors la bonne idée de faire sien sept mille Allemands du Sud-Ouest africain. À chacun ses naturalisés d’office. Britanniques et Français finirent par s’entendre sur ce point. Et Lazare, en balle de ping-pong, reprit sa place dans le camp tricolore.
Mais quel était donc l’état d’esprit de ces Français de la statistique ? Question posée à Caruana, voilà ce qu’il serait sorti de son propos. Des remarques en maltais comme il se doit. Ce dernier n’ayant pas reçu, avec sa carte d’identité toute neuve, le mode d’emploi complet de la langue de Molière.
Sans doute était-il fier d’appartenir à présent à la communauté dominante. Et les perspectives d’un avenir français lui paraissait une chance pour ses enfants. Il ne pouvait malgré tout se défendre contre un sentiment de frustration. On venait en effet de rompre les derniers liens qui le reliaient à l’île de ses ancêtres. D’autre part, il se méfiait un peu de ces Français, des hommes sans Dieu et des anticléricaux. « Attenter à la nationalité, c’est attenter au christianisme », avait dit son curé. Et Caruana pensait qu’il devait avoir raison. Même si, en temps qu’Italien, il reconnaissait que le prêtre ne portait la France dans son cœur.

M. Paul Cambon, Ministre résident, perçut le danger que représentait la propagande du clergé italien auprès de ses néo-naturalisés.
Le cardinal Lavigerie entra alors en fonction. Le Primat d’Afrique apparaissait comme un grand ami de Malte. Un titre que lui avait valu son intervention sur l’île au cours d’une épidémie de choléra.
Le nouveau clergé se considérait au service de la politique coloniale de sa patrie. Il était appelé à remplacer les prêtres italiens, invités à rentrer chez eux.
Et ce fut à des vicaires maltais, amis de la France, que l’on confia l’une des nouvelles paroisses, celle du Sacré Cœur, située au centre du quartier maltais de Bab el-Khadra. Une église qui deviendrait celle de la communauté. La plus matinale de Tunis. Elle proposerait en effet une messe à cinq heures du matin. « La messe des cochers. » Un office que Lazare Caruana ne devait jamais manquer avant de commencer sa journée de travail.

Tunis 1948.

Jean Caruana n’avait jamais eu besoin de réveil-matin pour se lever. À quatre heures, déjà dans son écurie, il étrillait et nourrissait son compagnon de travail avant de bichonner sa calèche. Puis, sans éveiller sa femme et ses gosses qui dormaient dans les trois pièces situées au-dessus de l’écurie, il déjeunait d’un bol de café noir, d’un oignon cru et de quelques sardines.
Le temps d’écouter la messe des cochers, Jean venait prendre place dans la file des karrozzins qui attendaient leurs premiers clients devant le café Borg.

Ce matin-là, Jean Caruana connaissait une anxiété peu courante chez les Maltais ; des êtres placides et un brin fatalistes.
Alfred Sammut, son ami de toujours, buvait un verre de café au lait quand il entra dans le bar.
— Il est reçu, lui annonça celui-ci dans un sourire en lui tendant la Dépêche Tunisienne. Regarde, c’est là !
Jean lisait le français en déchiffrant chaque syllabe. « Robert Caruana », ânonna-t-il. Pas de doute. Son aîné était admis en sixième au lycée Carnot.
— Celui-là, il ne fera pas le cocher. Je peux déjà le prédire, affirma-t-il ensuite du haut de son orgueil.
Le destin de son aîné le conduirait un jour à travailler dans un bureau ou dans une banque. Et si la chance voulait bien lui sourire, peut-être deviendrait-il fonctionnaire chez les Français, avec une villa à Mutuelleville et des costumes de mariage pour toute la semaine.

Tunis 1956.

La pièce est jouée. Le rideau tombe sur les cris de joie des vainqueurs et le désespoir des cocus de la farce. Les grands décident du destin des nations. Le petit peuple est invité à payer l’addition.
« Les colonialistes à la mer ! » hurlent Mohamed et Ali sous les fenêtres de leurs voisins : David, Salvatore et Carmelo. Robert Caruana voudrait leur répondre, leur rappeler qu’ils sont cousins, presque frères. Mais dans quelle langue le leur dire ? Oubliés l’arabe, l’italien, le maltais, il n’a plus que le français et des rudiments d’anglais pour s’exprimer. Alors il se tait. Qu’il le veuille ou non, il est français. Et d’ailleurs il le veut. Il le revendique même. Il est français de Tunisie, d’origine maltaise. Et croit pouvoir le rester, ne voulant rien rejeter de cette chakchouka d’influences qui compose son identité.
Robert Caruana bâtira sa vie ici, sous les lois tunisiennes. Les Maltais en ont vu d’autres tout au long de l’Histoire.

Tunis -Marseille 1961.

Jean Caruana a décidé de jeter l’éponge. Voilà des mois que ses journées de travail ne lui permettent plus de payer l’avoine de ses chevaux. Et la Mairie de Tunis vient de rejeter sa demande. Habib Bourguiba lui refuse de trahir le métier de son père en conduisant un taxi.
La misère, à nouveau, pousse les Caruana à l’exil. Jean rêve un instant de retrouver l’île de ses ancêtres. Robert, son aîné, ne partage pas cet avis. Seul un départ sur les terres de France leur offrira un avenir porteur de promesses. Un départ et une découverte à la fois. Pour les Caruana de cette branche, à l’image de bien des familles de ces néo-Français, la Mère Patrie reste un concept flou, peuplé de quelques images de cartes postales.
La Tunisie leur montre la sortie. Malte leur ferme ses ports. Ces enfants perdus, que l’Histoire a malmenés, n’ont plus de place sur une île surpeuplée.
Marseille leur ferait oublier Tunis tant elle ressemble à Tunis. Afin de les protéger de l’oubli, les mêmes cris les accueillent. Colonialistes là-bas, colonialistes ici ; le dépaysement n’est pas pour demain.
Drôles d’ « exploiteurs d’Arabes » en réalité. Les Caruana semblent experts dans l’art de camoufler le trésor que leur a valu la sueur des burnous. Un deux pièces sous les toits, suintant d’humidité, glacial les jours de mistral, four à pain aux premiers rayons de soleil. Jean, garçon d’écurie à l’hippodrome du Pont de Vivaux. La mère, employée par quelques familles de la rue Saint-Férreol, retrouvait ainsi, dans le rôle de fatma, toutes les humiliations infligées aux femmes de ménage qu’elle n’avait jamais pu se payer. Robert, de son côté, avait gagné ses galons de plongeur en eau de vaisselle. Certains restaurateurs d’Aix-en-Provence se souviennent encore de lui. Un banquet, un mariage, l’étudiant en lettres ne refusait jamais les quelques billets que rapportait une nuit d’assiettes sales et de fourneaux encrassés.

Aix-en-Provence 1962.

L’affaire algérienne secoue la France. Deux camps hostiles se font face, prêts à l’affrontement. M. Ménard, prof de lettres modernes à la fac d’Aix-en-Provence, figure parmi les héros de la cause des opprimés. Non pas que sa bravoure le conduise à sortir sa pétaudière dans l’intention de s’opposer à l’OAS les armes à la main. Son courage semble vouloir s’exprimer par ailleurs. C’est ainsi, dans un propos mal assorti, que Robert Caruana s’entend à nouveau traité de sale colonialiste.

40 ans plus tard.

Les décennies ont refermé les cicatrices, ouvrant ainsi la voie aux souvenirs heureux. Le filtre du temps a libéré l’Histoire de ses passions. La Tunisie porte désormais un regard ému sur ses communautés dont elle reconnaît l’amour sans calcul qu’elles lui ont porté. Malte retrouve ses fils éparpillés, auxquels elle offre à présent ses plus beaux sourires dans son désir de les voir accourir, les poches pleines de devises.
Et Robert Caruana a ainsi reconstitué son triptyque : Malte, la Tunisie, la France dans une même phrase et dans bien des livres. L’impérialiste déchu s’est en effet découvert une vocation dans le métier d’écrivain.
La page est tournée. Les exploiteurs de burnous sont passés de mode. La vindicte, inspirée par un racisme bien ordinaire, se porte dorénavant sur les porteurs de burnous, avant de choisir d’autres cibles.
Seul le souvenir de M. Ménard reste en lui comme une tache indélébile. Non pas que son insulte l’ait marqué plus qu’une autre. Son « sale colonialiste » tombait toutefois comme un cheveu sur la soupe.
« Hors sujet. Mal à propos, monsieur Ménard ! » Et cette atteinte à la langue française, Robert Caruana ne pourra jamais vous la pardonner.

Les autres romans de Claude RIZZO, disponibles en librairie :
Au temps du jasmin – Editions Michel Lafon.
Le Maltais de Bab el-Khadra – Editions Michel Lafon.
Je croyais que tout était fini – Editions Michel Lafon.
La secte – Edition Lucien Souny.
Le sentier des aubépines – Editions Lucien Souny.

Île de Malte 1843.
Paul Caruana regardait la lettre posée sur la table. Voilà plus d’une demi-heure qu’elle était devant lui sans qu’il se décidât à l’ouvrir.
— Tu vas l’admirer comme ça jusqu’à ce soir ? lui demanda sa mère.
— Qu’est-ce tu veux que je fasse ?
En plus de ne pas savoir lire, Paul n’avait jamais reçu de lettres jusqu’à ce jour.
— Va voir notre curé. Lui te la lira.
Caruana eut un geste de la tête. Comment oser rendre visite au prêtre alors qu’il ne mettait plus les pieds à l’église depuis des mois ?

UN FILM DE KARIN ALBOU SUR TUNIS DANS LES ANNEES 40 !


Les allemands, à coup de tracts diffamatoires, tentent de monter les communautés l’une contre l’autre et soutiennent les musulmans contre « l’ennemi juif ». Khaled, contraint de travailler pour avoir le droit de se marier accepte de travailler pour la kommandantur…
Nombreux sont les films qui traitent de la seconde guerre mondiale, mais rares sont ceux dont l’action se situe dans un protectorat ; la propagande nazi y est très présente, et les répercussions sur les personnages, extrêmement fortes. La présence même des soldats allemands hante le film : silhouettes d’hommes, bruits de bottes, couvre-feux, explosions. Et pourtant, loin d’une grande fresque historique, Karin Albou choisit l’intimité des maisons et le point de vue féminin pour percevoir la guerre. Les fenêtres deviennent des postes d’observation où chacune se glisse le soir.

Mais la violence n’est pas que du côté allemand, et c’est en quoi le film ne tombe jamais dans les clichés ou la caricature. Le Hammam est un lieu de conflit entre juifs et musulmans, et les magasins participent à la séparation des communautés (l’« indigène » lancé à Nour dans la boutique de robes de mariage en est symbolique). L’image elle-même joue avec cette dureté ; le gris, le bleu glacé dominent.

Les deux jeunes femmes sont toutes deux frappées par cette dureté : elles sont sous le joug de leurs mères, enfermées dans un schéma social très traditionnel, et contraintes au mariage forcé. Nour est fiancée à Khaled, Myriam se voit contrainte d’épouser Raoul pour payer la forte taxe imposée aux juifs. La guerre fait tout pour les séparer : elles sont toujours collées l’une à l’autre au début du film, dans un mode fusionnel, avant de s’éviter jusqu’à faire semblant de ne plus se voir. A cela s’ajoutent les préoccupations liées à l’adolescence, les interrogations sur l’amour, la découverte de la sensualité, et l’angoisse de ces hommes qu’on leur fait éviter soigneusement depuis leur plus tendre enfance.

Tous ces thèmes mêlés avec retenue et finesse font de ce film un objet magnifique. Bizarrement, on a l’impression de redécouvrir la période. Aux antipodes du déjà-vu, Karin Albou cultive l’ambiguïté de personnages dont aucun n’est parfait, et brosse un joli portrait de ces femmes, enfermées dans une société aux accents féodaux.

Heloïse Vandesmet Toullec www.dvdrama.com/
« Le chant des mariés » : Tunis, 1942. Nour et Myriam sont amies depuis leur enfance et vivent à deux pas l’une de chez l’autre. Pourtant elles n’appartiennent pas à la même communauté : Nour est musulmane, Myriam est juive, et n’ont pas la même vie (Myriam va à l’école tandis que Nour aide à la maison). Chacune rêve secrètement de la vie de l’autre : Myriam envie les fiançailles de son amie avec Khaled, Nour aimerait apprendre à lire. En 1942, lorsque l’armée allemande pénètre dans Tunis, l’amitié des jeunes filles s’érode petit à petit.
(film en salles à partir de mercredi 17 décembre)

DE TUNIS A PARIS, MELANGES A LA MEMOIRE DE PAUL SEBAG


et à l’infatigable érudit qui a marqué durablement plusieurs générations de chercheurs et d’étudiants.
Se définissant lui-même, dans une lettre inédite à son ami Claude Roy , «juif … non pratiquant… non croyant … français par l’état civil … par la culture … par les sentiments … marxiste … communiste … anti-impérialiste … tunisologue … “patriote tunisien”… enraciné dans sa terre natale…», Paul Sebag (Tunis 1919–Paris 2004) reste indissociablement lié à l’histoire de la Tunisie, depuis ses premiers travaux de sociologue dans les années 1950, jusqu’à ses plus récentes publications historiques autour du judaïsme tunisien et de la ville de Tunis à partir de 1990. Son action en faveur de l’indépendance lui fera prendre part à l’organisation de la nouvelle université tunisienne, et tout particulièrement du département de sociologie, où il enseignera jusqu’en 1977, date de son arrivée à Paris. Ouvrage coordonné par Claude NATAF, éditions de l’éclat, Paris 2008 : ce volume collectif à l’initiative de la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie se veut un hommage à la fois à l’homme “au simple sourire”, au professeur rigoureux