La lettre de mon père de Frédéric GASQUET


« Et maintenant, Lila, je vais te dire une chose qui me brise le coeur mais que je crois indispensable à ton bonheur et à celui de Freddy… »
Freddy c’est Frédéric, l’auteur de ce livre. Lila est sa mère, et ces lignes ont été écrites par Gilbert Scemla, juif français de Tunisie, le père de Freddy, le mari de Lila, ancien élève de l’Ecole polytechnique, peu de temps avant qu’il ne soit exécuté par les nazis.
Si Frédéric Scemla, plus tard Gasquet, a été malgré tout heureux, pour suivre l’injonction paternelle, il le doit à sa mère et à son père adoptif qui a été son père « sur terre tandis que l’autre père était au ciel ». C’est à soixante ans, pour ses enfants, pour lui-même et pour l’histoire, que Frédéric a conçu le projet de reconstituer la vie, les derniers mois surtout, de son père Gilbert, de son grand-père Joseph et de son oncle Jean, tous trois assassinés par les Allemands en 1944 à Halle (Saxe-Anhalt). Une quête opiniâtre de la vérité qui l’a mené jusqu’à la découverte de l’horreur particulière de leur mort.
Dès lors, il y a lieu de croire que le « devoir » d’être heureux s’effaçait devant celui, plus essentiel, de vivre, c’est à dire d’écrire, de témoigner. Ce devoir-là a été rempli. Il l’a été par la lucidité et la rigueur quasi scientifique du récit, par la ferveur de l’hommage aux trois martyrs, mais il l’a été par-dessus tout par l’amour, à la fois si difficile à inventer et si éblouissant dans son accomplissement, pour le père que Frédéric n’aura jamais connu.

l’auteur :

Frédéric Gasquet est né en 1941 en Tunisie. Après des études scientifiques, il fait une carrière en France et à l’étranger, comme cadre et dirigeant de sociétés de haute technologie.
Il est père de trois enfants.
Un témoignage étonnant de Frédéric Gasquet (lc59/math.élem), éditions le Félin, Paris 2006

Eloge de l’antichambre d’Yvan BERREBI

CHAPELET

Alors que s’épandent sur les carrières du doute,

l’impatience de l’aurore face aux desseins du fleuve,

les rectangles de ciel dans une muraille de glaise,

le remords au pied-bot fredonnant des gospels,

l’obsession du maître enivré de mensonges,

la morsure du rongeur qui découpe la nuit,

les sirènes intimes brisant l’envol du jour,

la chaleur du tunnel où se consume l’espoir,

le chant d’un vent d’été sur les volets mi-clos,

les convulsions de l’encre séchant sur une syllabe,

ou les braises du temps qui s’essoufflent dans l’âtre,

se languissent déjà les moissons du rêve.

Les poèmes d’Yvan Berrebi dessinent des chemins, des parcours des espaces fous multiples, dessous, dessus, dedans, au travers, dans les profondeurs, parcourant les humeurs, les paysages, les éléments, les villes et les frontières, les guerres et les étreintes, navires éphémères sur l’océan des mots et des choses, ils entrouvrent des portes sur les pays épars de ce pèlerin, voyageur du réel et de l’imaginaire. Parler d’antichambre – mais il n’y a pas de chambre ! – et voilà qui justifie toute une poétique de l’antichambre, car tout semble antichambre de tout, comme les passages chers à Aragon et Benjamin. Les mots sont à mi-chemin entre écriture automatique et élaboration savante, en quête de la conciliation des contraires – encore un sas, peut-être, entre deux pôles. (Pierre Longuenesse)

Après « l’Humeur du Crépuscule » et « Rives, dérives », qui seront réédités en janvier 2006, un nouveau recueil où l’auteur s’interroge sur les antichambres de nos vies, ces passages publics ou clandestins: passage des cultures, passage de l’âge, passage des fidélités, vie partagée entre souvenirs dilués et attentes indéfinies, comme le dit le poème ci-dessous :

L’opéra dans l’espace français de Frédéric LAMANTIA

Un paysage lyrique se dessine progressivement, touchant plusieurs colonies françaises ; mais derrière cette fascination commune pour la voix, objet de jouissance, certaines différences apparaissent selon les traditions locales et les goûts. En France, des villes se distinguent peu à peu par l’accueil qu’elles font à ce divertissement. Temple « laïc » propre à l’esprit des Lumières, l’opéra s’’impose vite comme lieu central dans la cité : il devient un « catalyseur urbanistique ».
L’approche géographique envisage et analyse l’art lyrique en tant qu’objet déterminé par ses acteurs, ses réseaux et ses territoires. Elle aide à la compréhension du « phénomène lyrique » en dévoilant à sa manière les relations qui unissent autour de la voix, créateurs, spectateurs et mécènes : ces liens se matérialisent dans l’espace en fonction des époques, des modes, des lieux et des moyens de communication.
Editions CONNAISSANCES ; SAVOIRS

Docteur en géographie culturelle, Frédéric LAMANTIA – fils de Sauveur LAMANTIA (LC1954 sc.ex)enseigne à l’Université Jean Moulin Lyon III. Chercheur associé à l’UMR 5600 du CNRS (Environnement Ville Société) et à l’Observatoire Européen de Géopolitique, expert auprès de la Réunion des Opéras de France, il est également Conservateur des Orgues du Grand Temple de Lyon et organiste à l’Hôtel de ville de Villeurbanne.Forme musicale et architecturale, l’opéra naît en Italie, essaime en Europe, s’acclimate à chaque pays. l’art lyrique est un symbole d’identité qui participe à la construction d’une mémoire collective et à l’apparition de sentiments nationaux. La musique comme le bâtiment sont structurants de réseaux sociaux, et la France n’échappe pas à ce phénomène.

TUNISIE, ma mémoire d’enfant – Joël CUENOT

Un grand et beau livre d’écrits et de photos pêchés au fond de la mémoire de Joël CUENOT (lc sec48), éditions Jöel CUENOT, Paris 1988.

Extrait : Du plomb dans l’abricot
« Mais tu vas te rendre malade !  »
s’exclame ma grand-mère, effrayée par ma goinfrerie. Cinq noyaux d’abricots sont posés dans mon assiette, j’en ai encore au moins trois dans la bouche et je tends déjà la main vers la corbeille. Vlan! Un coup de pied dans le tibia de mon frère, au sourire narquois. Lui, en face de moi, ne s’est pas fait remarquer alors qu’il a, j’ai bien compté, dépassé la douzaine.

A Tunis, c’est une passion, les abricots ! Chaque année, elle se ravive à l’arrivée des premiers fruits. Tous les gamins adorent les abricots, mais plus encore pour le noyau que les grands jette, que pour la chair ! Tout à l’heure, mes noyaux et la moitié de ceux de mes parents (l’autre moitié, c’est pour mon frère) iront grossir mon trésor, un sac de toile écrue, fermé d’un gros lacet.

A la  » récré « , je m’installe, le dos appuyé sur le mur, les jambes écartés et me mets à crier :
 » A la boutique, à la boutique, toujours on gagne, jamais on perd !  » . Ma boutique, c’est un rectangle dessiné à la craie sur le sol, entre mes jambes. Il est formé de trois carrés superposés ; à l’intérieur de chacun d’entre eux, j’ai écrit trois nombres : 1, 5 et 10. Le plus important est le plus éloigné du tireur qui, lui, va se placer derrière une ligne tracée à environ deux mètres. Il lance un noyau. Si celui-ci tombe à l’extérieur du rectangle, je me penche et je  » l’encaisse « . Si, par contre, il reste dans un carré, je dois non seulement restituer au tireur sa munition mais lui donner le nombre de noyaux indiqué dans la zone.

Il était prudent, avant d’ouvrir une boutique, d’avoir un  » capital  » permettant de faire face aux dettes. Si le mauvais sort s’acharnait contre  » le boutiquier  » qui voulait faire fortune en partant de zéro, ça se terminait par de violentes bagarres, seul moyen de régler de telles affaires d’honneur.

Il y avait d’autres jeux que la boutique. Pour jouer au  » castel  » on posait un noyau sur trois autres formant triangle. Le tireur qui réussissait à bousculer la petite pyramide avait gagné le tout. Mais, un jour, j’ai manqué faire faillite en jouant  » au long « . J’avais disposé une longue file d’au moins quinze noyaux à la perpendiculaire du mur où je m’appuyais, sachant que le tireur avait le droit d’empocher tous les noyaux se trouvant entre lui-même et celui qu’il avait bousculé.

Arrive un grand du Cé-ème-deux qui tire avec un projectile spécial mais tout à fait légal un gros noyau rempli de plomb. En deux coups, il rafle trente noyaux. Je dois fermer boutique, effrayé par l’ampleur du désastre, bien décidé cette fois, à devenir  » tireur « .

Après la classe, je rentre chez moi, en frottant sur les murs que longent les trottoirs, un gros noyau, rescapé de la défaite. Je n’ai pas fait cent mètres qu’il est usé ; par le trou, on aperçoit l’amande. Le trou suivant demande deux cent mètres, à cause des vitrines. Le dernier noyau, je le finis chez moi, sur les murs du balcon.

 » Papa, papa ! j’voudrais qu’tu m’fasses un plombé « . J’ai besoin de mon père, pour l’opération suivante. Une fois les noyaux vidés de leur amande, mon père fait fondre sur le gaz, dans une cuiller en fer, un morceau d’un tuyau de plomb. Ca sent le chaud, le métal brûlé, une odeur aussi âcre que celle que l’on respire dans les souks quand on s’arrête devant les ateliers des étameurs de récipients en cuivre.

Mon père pose un noyau troué sur un carreau de l’évier de la cuisine et, doucement verse dans l’orifice une coulée de métal fondu. Ca siffle, ça fume, ça sent le bois brûlé. Quand tout est refroidi, j’ébarbe le noyau et polis le bouchon de métal avec une lime fine.

Cette fois, je suis armé ! Demain j’entendrai les murmures des jaloux, des envieux qui me suivront de leur regard oblique. Si le conquérant, un jour, a perdu sa fortune, il sait, avec superbe en rebâtir une autre !

Le lendemain, le premier de mes noyaux plombés éclata dès qu’il toucha le sol, et les deux autres, quelques minutes après, connurent le même sort. Après une bonne colique, étape indispensable à la reconstitution d’un autre capital, je revins au statut très modeste de petit boutiquier.

Les lycées français du Soleil – Effy TSELIKAS / Lina HAYOUN

« Les lycées français du soleil », creusets cosmopolites de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc,aux Editions Autrement, collection « Mémoires » Effy Tselikas/Lina Hayoun

Effy Tselikas (lc72/term) et Lina Hayoun (mutu67/1ère) ont eu l’idée de recueillir le témoignage de personnalités sur leurs années-lycée, appuyé par une recherche historique de plus d’un siècle d’éducation sur les trois pays du Maghreb.

Ces récits émouvants entrent en résonance avec l’actualité, en posant des questions sur la société d’aujourd’hui : laïcité, mixité, multiculturalité, transmission des savoirs et des mémoires.

André Nahum, medecin, journaliste, écrivain

Il y a une dizaine d’années, au cours d’un déjeuner en présence d’une centaine de participants, André Nahum nous avait ébloui par ses talents de conteur. A partir de proverbes judéo-arabes, il nous avait fait revivre tout un monde enfui.

En hommage, l’article paru dans le Parisien du 24 novembre 2015, André Nahum est décédé la semaine suivante :

Le regard pétille et le discours n’a rien perdu de sa passion. André Nahum, qui a fêté ce 24 novembre ses 94 ans dans son appartement de Sarcelles, n’a rien du retraité lambda. Docteur lors de la construction du Grand Ensemble, adjoint au maire dans les années 1980, il est encore aujourd’hui chroniqueur radio et écrivain.

Il vient de sortir son dernier livre, « L’Âne, mon frère de lait ». Originaire du quartier juif de Tunis, l’homme s’est installé en 1961 à Sarcelles, ville qu’il n’a jamais quittée et où il a enfilé de multiples casquettes.

Le docteur   « Quand je suis arrivé, c’était la boue, le vent, les grues, les tours à moitié construites… » Dans les années 1960, André Nahum fait partie des tout premiers médecins de la nouvelle ville. « Beaucoup d’habitants ne parlaient pas encore français, se souvient-il. Les Turcs se présentaient en énonçant leur nationalité et l’entreprise pour laquelle ils travaillaient. Les Espagnols, quand ils ont vu que je baragouinais trois mots, m’ont appelé el médico que habla español (NDLR : le docteur qui parle espagnol). Sarcelles était extraordinaire ! » Il continuera à exercer sur l’avenue Paul-Valéry, jusqu’en 1987.

Le militant   S’il fait partie de ceux qui ont combattu la municipalité communiste (à la tête de la ville de 1965 à 1983), André Nahum refuse toute étiquette. « Un homme libre », clame-t-il. Sous la droite, il sera adjoint à la Culture de Raymond Lamontagne (RPR), avant de s’éloigner de la politique. Mais aujourd’hui encore, il continue de livrer ses analyses, notamment sur son compte Facebook et ses 750 suiveurs. Spécialiste du Moyen-Orient, ses prises de position sont toujours très tranchées (et très commentées), comme celle félicitant récemment l’intervention militaire de la Russie en Syrie.

Le chroniqueur  En 1995, l’un de ses amis médecins lui propose d’intégrer la radio juive Judaïques FM. Depuis, André Nahum se targue d’avoir participé à « 1 000 émissions en 20 ans ». Chaque semaine, il continue de préparer de chez lui unbillet d’humeur, diffusé le mercredi, à 8 h 45. Il participe également à une émission littéraire, le lundi soir. « Un hobby », qu’il pratique par téléphone ou directement dans les studios à Paris.

L’écrivain André Nahum a commencé à écrire en 1980. « Je voulais raconter tout ce qui concernait mon groupe humain, et ses histoires. » Son groupe ? Les juifs tunisiens, dont il a raconté les histoires dans des contes, des romans… Parmi ces récits, celui du boxeur Young Perez, champion du monde qui sera déporté à Auschwitz. Son dernier livre, « L’Âne, mon frère de lait », s’adresse « à toutes les générations », insiste-t-il. L’histoire d’un homme au crépuscule de sa vie, cherchant à retrouver son frère de lait, un âne, par le biais de l’émission de télé « Perdu de vue ». Une enquête lui permet de remettre les pieds sur sa terre natale… la Tunisie.

« L’Âne, mon frère de lait », éditions Ane bâté, 40 pages, 10,90 €.